Un contrat de téléréalité peut-il constituer un contrat de travail ?
Par trois arrêts du 12 février 2008, la Cour
d’appel de Paris (18ème chambre D), confirmant les jugements du conseil de prud’hommes de Paris du 30 novembre 2005, a répondu par l’affirmative et a reconnu la qualité de salariés aux participants de l’émission « L’île de la tentation » diffusée par TF1.
En l’espèce, trois participants de l’émission ont demandé à la juridiction prud’homale, la requalification du « règlement des participants » en contrat de travail.
A l’instar du Conseil de prud’hommes, la cour d’appel de Paris requalifie les contrats « des participants » en CDI et condamne la société de production pour licenciement abusif.
Une partie de la doctrine (notamment le Professeur Patrick Morvan in Semaine Sociale Lamy 9 juin 2008 Le contrat de téléréalité A propos des arrêts « Ile de la tentation », p.8 et s.) conteste avec vigueur la solution de la cour d’appel ; le Professeur Morvan considère que les contrats de téléréalité sont en fait des « contrats d’adhésion à caractère aléatoire ».
Pour lui, l’objet du contrat s’oppose à ce que les participants interprètent un rôle et ne constitue donc pas un travail ; les candidats en signant le contrat adhéreraient à un règlement et seraient donc subordonnés à ce règlement et non pas à un contrat de travail.
Pour fonder sa décision, la Cour d’appel de Paris s’est basée sur les trois éléments permettant de qualifier une relation de travail salariée.
► Une prestation de travail ?
Selon la Cour d’appel « l’immixtion de caméras dans la vie privée ne relève pas d’un simple divertissement » et « le règlement liant les parties (…) impose en effet une disponibilité permanente du participant pour le tournage ». Ainsi, « la mise à l’épreuve des sentiments en vue de leur évolution, la modification de relations interpersonnelles aux fins de soumissions des réactions des sujets à l’examen du téléspectateur » constitue bien une sorte de travail de la part des candidats.
Mais à l’inverse, il est possible de soutenir que l’objet du contrat de téléréalité est d’être soi même et se contenter de vivre en présence des caméras. Dans ce cas, il ne peut pas s’agir d’un contrat de travail puisque les candidats ne fournissent aucune prestation de travail.
► Un lien de subordination ?
Les candidats reçoivent-ils des ordres et des directives ?
Durant l’émission, les candidats recevaient des directives sur la façon de se comporter et sur les horaires à respecter. Au cours de ces horaires, les participants se trouvaient donc à la disponibilité de la société de Production.
De plus, l’article 3.3.2 du règlement contractuel de l’émission stipulait que pendant le tournage le séjour des candidats et leurs conditions de vie seraient déterminés exclusivement par la production. Ainsi, les responsables du tournage fixaient les heures auxquelles les candidats devaient se réveiller le matin et leurs emplois du temps.
Il était même prévu à l’article 8.1 du règlement que le producteur avait le droit de sanctionner par la rupture unilatérale du contrat le non-respect par les candidats des obligations du règlement.
Pour la Cour d’appel, ces éléments caractérisaient un lien de subordination, à savoir exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur ayant le pouvoir de donner des ordres et des directives et d’en sanctionner les manquements.
Mais, si l’on considère, au contraire, que l’émission ne consiste que dans « le fait d’être soi » (Voir argumentation du Professeur Morvan), il n’y a pas de lien de subordination et les participants ont adhéré à un règlement d’un jeu.
► Une rémunération ?
A priori la participation à ce type d’émission ne serait pas rémunérée.
Mais, pour les candidats de « l’Île de la tentation » il était prévu qu’ils bénéficient, en échange de leur prestation, d’avantages en nature comme la prise en charge de leur billet d’avion aller et retour, du prix de leur visa, leur hébergement, leurs repas, leurs activités sportives ainsi qu’une somme de 1525 euros.
Pour la Cour
d’appel cela constituait un salaire venant en contrepartie du travail fourni. A cet égard, les juges ont relevé que la cause du versement de la somme de 1525 euros était le travail subordonné qui a été exécuté.
La Cour d’appel de Paris à donc requalifié les contrats de téléréalité en contrat de travail.
Cependant, cette position est à nuancer.
En effet, cette solution ne s’applique pas à l’ensemble des contrats de téléréalité et que les tribunaux traitent les émissions au cas par cas.
Pour plus de sécurité juridique, il est urgent que la Cour de cassation tranche définitivement cette question.
Frédéric CHHUM / Diane BUISSON