La Cour de Cassation a rendu le 10 juin et le 9 juillet 2008 deux arrêts précisant l’articulation entre les droits de l’employeur et la protection de la vie personnelle du salarié sur son lieu de travail.
Ainsi, a-t-elle jugé dans l’arrêt du 10 juin 2008 Florence G.c/Sté Mediasystem et Sté d’impression et d’éditions publicitaires (SIMEP) que le respect de la vie personnelle du salarié n’empêche pas en lui-même la mise en œuvre de l’article 145 du Code de procédure civile, à condition que les mesures ordonnées par le juge obéissent à un motif légitime et soient nécessaires à la protection des droits de la partie, qui les a sollicitées.
En l’espèce, la salariée, responsable d’agence auprès de la SIMEP, entreprise de conseil en publicité, a quitté la société pour travailler au sein d’une société concurrente. La SIMEP a alors demandé et obtenu du Président du Tribunal de commerce une ordonnance de référé autorisant un huissier de justice à accéder aux fichiers non classés comme personnels par la salariée au sein de son ordinateur professionnel.
La salariée contestait l’arrêt rendu par la Cour d’appel, en ce que les juges auraient dû, selon elle, exclure de la consultation à la fois les fichiers référencés, en tant que tels, comme personnels, mais également ceux non classés comme personnels mais qui pouvaient être considérés comme tels.
Mais la Cour de Cassation a rejeté ses arguments et considéré, que la Cour d’appel, qui avait estimé que l’employeur avait des raisons légitimes et sérieuses de craindre que l’ordinateur ait été utilisé par la salariée pour favoriser des actes de concurrence déloyale, avait pu légitimement confier à un huissier de justice le soin de procéder aux constations nécessaires, en application de l’article 145 du Code de procédure civile.
Dans l’arrêt du 9 juillet 2008, Franck L.c/Sté Entreprise Martin, la Cour de Cassation a jugé que les connexions établies par un salarié sur des sites internet pendant son temps de travail grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour l’exécution de son travail sont présumées avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur peut les rechercher aux fins de les identifier, hors de sa présence.
La chambre sociale de la Cour de Cassation affine progressivement sa jurisprudence sur le contrôle par l’employeur du poste informatique, mis à la disposition du salarié.
Tout le monde se souvient, en effet, de l’arrêt Nikon rendu le 2 octobre 2001 par la chambre sociale, marqué par une protection très forte du salarié. Ainsi, dans cet arrêt, la Cour de Cassation a posé le principe, selon lequel « le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée, qui implique, en particulier, le secret des correspondances ».
Dès lors, l’employeur ne peut consulter les messages personnels émis et reçus par la salarié sur son outil informatique, et ce, quand bien même aurait été interdite toute utilisation à des fins non –professionnelles au salarié.
Cette jurisprudence a été depuis nuancée. Ainsi, par un arrêt du 17 mai 2005, la Cour de Cassation a pu juger que « sauf risque ou évènement particulier, l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés comme personnels contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé ».
Si la plupart des arrêts étaient rendus sous le visa des articles 9 du Code civil et du Code de procédure civile, L120-2 du Code du travail ou encore l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’article 145 du Code de procédure civile a fait progressivement son apparition.
Cet article dispose ainsi que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».
Ainsi, dans un arrêt du 23 mai 2007 concernant des soupçons de manœuvre déloyale tendant à la constitution d’une société concurrente, la Cour de Cassation a pu jugé au visa de cet article et de l’article 9 du Code civil et L. 120-2 du Code du travail, que « le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du NCPC, dès lors que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie, qui les a sollicitées ».
L’arrêt du 10 juin 2008 confirme le poids croissant de cet article, les employeurs préférant avoir recours à un huissier, pour se prémunir de toute accusation d’immixtion illicite dans la vie privée de leurs salariés.
En la matière, la Cour de Cassation s’attache, depuis 2005, à la question de savoir, si le salarié était ou non présent ou s’il avait été ou non dûment appelé pour les fichiers identifiées comme personnels. En revanche, pour les fichiers professionnels, la jurisprudence reconnaît à l’employeur un accès libre.
Par application de ces principes, deux arrêts de la Chambre sociale du 18 octobre 2006 ont pu juger que, les dossiers et fichiers crées par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail, ainsi que les documents détenus par le salarié dans le bureau de l’entreprise sont présumés être professionnels, sauf à ce que le salarié les identifie comme personnels. Ils peuvent être en conséquence librement consultés par l’employeur, hors la présence du salarié.
L’arrêt du 9 juillet 2008 témoigne, en conséquence, d’une extension de cette présomption par les juges de la Cour de Cassation, puisque ceux-ci l’appliquent désormais aux connexions internet établies par le salarié pensant son temps de travail. L’employeur a pu donc légitimement les consulter et licencier le salarié pour faute grave, et notamment pour utilisation d’un outil informatique à des fins personnelles et abusives, qui peut d’ailleurs tomber sous la qualification d’abus de confiance. (Cass.crim., 19 mai 2004, n°03-83.953)
Cette présomption rend ainsi quelque peu caduque l’obligation pour l’employeur de convoquer le salarié pour la consultation des fichiers personnels de ce dernier et témoigne, à tout le moins, d’une sévérité accrue de la Cour de Cassation envers les salariés, dénotant par rapport aux perspectives prometteuses pour les salariés ouvertes par l’arrêt Nikon.
Maître Frédéric CHHUM / Emilie SCHNEIDER