La cour d’appel de
Paris s’est prononcée le 14 février 2008 pour la première fois sur la question
de la publication par un employeur d’une lettre de licenciement de son salarié.
En l’espèce, Monsieur
Daniel Schneidermann, journaliste, avait été licencié par la Direction du
journal Le Monde, suite à la
publication d’un ouvrage, « Le Cauchemar Médiatique », comprenant
tout un chapitre intitulé « Le Monde :
Dedans, Dehors ». L’employeur considérait en effet que les propos tenus
dans cet ouvrage étaient constitutifs de dénigrement à l’égard du journal, de
la rédaction et de ses dirigeants.
Monsieur Schneidermann tenait
depuis décembre 1998 une chronique hebdomadaire de télévision dans le
supplément « Radio-TV ». Son licenciement lui fut notifié le 1er
octobre 2003. Dans le supplément « Radio-TV » daté du 4 octobre 2003,
Le Monde, publia la dernière
chronique de Monsieur Schneidermann, intitulée : « Une chronique à la
mer », dans laquelle ce dernier contestait le motif de son licenciement en
ce qu’il aurait « porté atteinte aux intérêts de l’entreprise de
presse ». Sur la même page, la Direction du Monde informait les lecteurs des raisons du licenciement de
Monsieur Schneidermann en publiant intégralement la lettre de licenciement.
Suite à son
licenciement, Monsieur Schneidermann a saisi le conseil de prud’hommes de
Paris. Ce licenciement a été jugé le 13 mai 2005 comme étant dépourvu de cause
réelle et sérieuse, et ce jugement a été par la suite confirmé par la cour
d’appel de Paris le 22 mai 2007.
Parallèlement, dans le
cadre d’une instance distincte, le syndicat national des journalistes (SNJ)
soutenait entre autres que la publication par Le Monde de la lettre de licenciement de Monsieur Schneidermann
portait atteinte à la dignité de la profession et constituait une menace pour
l’ensemble des journalistes quant à leur liberté de publier honnêtement des
informations. La société éditrice du journal Le Monde, contestant cette argumentation, précisait d’une part que la
publication de la lettre de licenciement répondait à un souci de transparence, celle-ci
étant accompagnée de la dernière chronique de Monsieur Schneidermann, et,
d’autre part, que cette publication était légitime eu égard aux circonstances
particulières de l’affaire (l’intéressé commentait lui-même dans divers médias
son licenciement) et n’atteignait que Monsieur Schneidermann (lequel n’a jamais
contesté cette diffusion) et non la profession de journaliste.
La question se posait
alors de savoir si la publication d’une lettre de licenciement était autorisée
ou non.
La cour d’appel de
Paris y répond que les conditions d’un licenciement relèvent de la vie privée
et ne peuvent, par principe, être divulguées. Cependant, il existe une nuance à
une telle interdiction, et ce lorsqu’il existe un motif légitime justifiant une
telle publication.
Pour ce faire, la cour
d’appel considère que seul Monsieur Schneidermann aurait pu contester cette
publication, et que si une atteinte à la liberté d’opinion et d’expression de
l’ensemble des journalistes a pu éventuellement être commise, c’est en raison
du licenciement de Monsieur Schneidermann et non du fait de la publication de
la lettre de rupture du contrat de travail qui ne comporte aucun commentaire
tendant à faire pression sur les journalistes, quant à leurs libertés
fondamentales. Enfin, la cour d’appel prend en compte les circonstances
particulières du litige, Monsieur Schneidermann ayant lui-même commenté à de nombreuses
reprises son licenciement dans divers medias. Ainsi le motif de transparence
invoqué par la société éditrice du Monde
a été jugé légitime.
Il existait donc bien
un motif légitime justifiant une telle publication.
C’est pourquoi la cour
d’appel confirme le jugement en première instance déboutant le SNJ de ses
demandes.
Frédéric CHHUM / Julie
SPINOLA