L’agent sportif peut être défini comme une personne habilitée, par une licence ou une autorisation de la fédération sportive à laquelle il est rattaché, à mettre en rapport, contre rémunération, joueurs professionnels et clubs à la conclusion de contrats relatifs à l’exercice rémunéré d’une activité sportive (principalement négociations de contrat de travail et transferts internationaux).
Du fait de l’importance des contrats signés, cette profession nécessite un encadrement spécifique par les autorités compétentes.
A cet égard, plusieurs projets ont récemment vu le jour. Il s’agit ainsi de clarifier et limiter les conditions d’accès à cette profession.
De même, compte tenu de sa forte dimension juridique, s’est posée et se pose toujours avec la même acuité, la question de savoir si un avocat, homme de loi par essence, ne peut pas, lui aussi, exercer la fonction d’agent sportif, voire même, lui redonner une certaine consistance éthique…
A ce sujet, les avis sont partagés et les débats sont virulents.
Au cœur du problème se trouve la question de la compatibilité de la profession d’avocat - où les règles déontologiques, notamment celles du secret professionnel et du conflit d’intérêts, occupent une place prépondérante - avec l’exercice d’une activité d’agent sportif, à dominante commerciale et surtout beaucoup moins règlementée…
A) Exemption ou non exemption de l’autorisation ou licence d’agent sportif pour l’avocat ?
1. La position de la FIFA (Fédération Internationale de Football Association)
L’article 3 du règlement FIFA sur les agents de joueurs, dans sa version récente, dispose que : « l’activité d’agent de joueurs ne peut être exercée que par des personnes physiques licenciées à cette fin par l’association concernée ».
Pourtant, certaines personnes ou professionnels sont exemptés de l’exigence d’être titulaire d’une licence.
En effet, pour les avocats notamment, le règlement FIFA dispose qu’« un avocat légalement habilité à exercer conformément aux règles en vigueur dans son pays de résidence peut représenter un joueur ou un club lors de la négociation d’un transfert ou d’un contrat de travail ».
2. Les autres fédérations internationales
La question se pose dans des termes tout autres lorsqu’il s’agit des règlements d’autres fédérations internationales. L’International Rugby Board (IRB), renvoie, par exemple, à chaque fédération nationale le soin de règlementer l’exercice de la profession d’agent.
Ainsi, même si l’IRB publie quelques lignes directrices à ce sujet, c’est donc à chaque Fédération Nationale que revient le soin de décider si une licence ou une autorisation doit être requise pour exercer la profession d’agent sportif.
En ce qui concerne la FIBA (Fédération Internationale de Basketball Amateur), les données sont très claires : joueurs et clubs ne peuvent faire appel qu’au service d’un agent en possession d’une licence.
3. La loi française/le code du sport
La loi française quant à elle, ne cite pas expressément les avocats dans ses dispositions relatives à la profession d’agent sportif. A ce titre, l’article L.222-6 du Code du sport dispose : « toute personne exerçant à titre occasionnel ou habituel, contre rémunération, l’activité consistant à mettre en rapport les parties intéressées à la conclusion d’un contrat relatif à l’exercice rémunéré d’une activité sportive doit être titulaire d’une licence d’agent sportif ».
Aux termes de cet article L.222-6 du Code du sport, il n’existe donc pas de dérogation à l’obligation de posséder une licence d’agent sportif pour l’avocat.
On observe déjà là, une divergence de positions entre les dispositions retenues dans le règlement de la FIFA et celles contenues dans la loi française.
B) Le cumul des fonctions avocat/agent sportif ou l’opposition de deux philosophies juridiques
Mais le véritable problème ne se situe, in fine, pas dans la question de savoir si l’avocat doit être exempté ou non de l’obligation de possession d’une licence.
En effet, l’actuel débat sur la possibilité pour l’avocat de cumuler sa profession avec l’activité d’agent sportif prend une tournure davantage politique…
1. Proposition de loi « Martin » Versus le Rapport Darrois
Si la proposition de loi n°310 (2007-2008), visant à encadrer la profession d’agent sportif et modifiant le code du sport, dite loi « Martin » du nom de son rapporteur, considère que l’avocat ne devrait en aucun cas être autorisé à exercer la fonction d’agent sportif, car cela « pourrait nuire fortement à la lisibilité de la profession d’agent », le rapport de la commission Darrois, sur l’évolution des professions du droit, (publié en mars 2009 et remis au président de la république Nicolas Sarkozy en avril de la même année), affirme au contraire, que « le souhait d’une majorité d’avocats de rendre compatible leur profession avec celle d’agent sportif et agent artistique est raisonnable »(page 46-47 du rapport).
Voyant que deux grands courants de pensée s’opposent, comment savoir alors quelle sera l’issue du débat?
2. Le point de vue du Conseil de l’Ordre des Avocats du Barreau de Paris
Le 17 mars 2009, le conseil de l’ordre des avocats de Paris a adopté un nouvel article P 6.2.03 du règlement intérieur du barreau de Paris pour rappeler que l’avocat peut être agent sportif.
L’article P 6.2.03, après modification de sa première version, est rédigé comme suit : « Avant d’exercer l’activité d’agent sportif, l’avocat doit en faire la déclaration au bâtonnier. Il est tenu au sein de l’Ordre un registre des avocats agents sportifs. Dans son activité d’agent sportif, l’avocat reste tenu de respecter les principes essentiels et les règles du conflit d’intérêts ».
A l’occasion de la nouvelle écriture de l’article P 6.2.03, le Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris a par ailleurs déclaré avoir été informé qu’un nouveau projet de loi - élaboré par les services de la Chancellerie et consacrant la faculté pour l’avocat d’exercer accessoirement l’activité d’agent sportif -, était en cours de rédaction.
3. L’adoption du nouveau projet de loi ou l’attente d’un miracle qui dissipera, une bonne fois pour toutes, tout doute sur la question
A ce jour, le nouveau projet de loi n’a toujours pas été validé par les deux assemblées. Seul le Sénat a adopté le 4 juin 2008 la nouvelle proposition de loi. Celle-ci, qui reprend sur de nombreux points la proposition de loi dite « Martin », a par la suite été transmise (le 5 juin 2008 exactement) à l’Assemblée nationale. Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (dont M. Philippe Boennec en a été désigné comme rapporteur), la lecture du projet par la chambre basse du Parlement demeure toujours actuellement en instance.
Concernant les termes de la proposition de loi adoptée par le Sénat, un point d’ombre vient ternir le beau tableau que le conseil de l’ordre du barreau de Paris nous laissait déjà présager.
En effet, la nouvelle rédaction de l’article L. 222-7 6° du code du sport adoptée par le Sénat est claire : « Nul ne peut obtenir ou détenir une licence d’agent sportif s’il exerce la profession d’avocat ».
A supposer que la lecture de l’Assemblée nationale soit divergente de celle du Sénat, il reste que l’adoption définitive d’une loi tranchant cette question n’est sans doute pas prête de voir le jour dans un avenir proche. En effet, entre les éventuels amendements et/ou l’éventuelle navette parlementaire à venir, avocats et agents sportifs demeureront dans un flou législatif pendant encore un certain temps.
4) En résumé :
Trois observations majeures peuvent être faites concernant la possibilité de cumuler la fonction d’avocat avec celle d’agent sportif :
Premièrement, il semble que le débat sur la faculté pour l’avocat de cumuler son activité avec celle d’agent sportif se dirige de plus en plus vers une issue positive, dans la ligne adoptée par le rapport Darrois et les dispositions prises par le conseil de l’Ordre des Avocats du barreau de Paris.
Deuxièmement, il apparaît, d’un point de vue disciplinaire, que l’avocat, parce qu’il est soumis à la discipline de son Ordre, ne serait pas justiciable des fédérations sportives comme le sont les agents sportifs « classiques ».
En revanche, comme à tous les agents sportifs, s’imposerait à lui l’obligation de plafonner ses honoraires à 10% de l’intérêt financier du contrat négocié pour son mandant, le joueur professionnel.
D’ailleurs, on peut souligner que si cette obligation de plafonnement des honoraires de l’agent sportif, va à l’encontre du principe de la libre fixation des honoraires de l’avocat, le conseil de l’Ordre a estimé qu’il n’y avait pas lieu de s’opposer à cette disposition (qui figure dans le nouveau projet de loi adopté par le Sénat) car elle consacre une totale égalité entre les avocats cumulant l’activité d’agent sportif et les autres agents sportifs.
En définitive, si la question de savoir si l’avocat peut exercer ou non la profession d’agent sportif n’est pas encore totalement tranchée, il apparaît de plus en plus qu’il n’existe pas d’obstacle majeur pouvant justifier qu’un avocat ne puisse pas être un aussi bon agent pour le sportif.
Lecture et éventuelle navette parlementaire à suivre de près tout de même….
Frédéric CHHUM Avocat à la Cour
Linda MAMAR-CHAOUCHE I.E.P/Sciences-Po Paris