Maître Frédéric CHHUM était l'avocat du journaliste dans cette affaire.
La présente affaire contenait un cocktail explosif avec plusieurs dérogations au Code du travail qui s'entrechoquaient : intermittence du spectacle, journalisme, CDD à temps partiel à requalifier sous CDI à temps plein, licenciement abusif et violation du repos hebdomadaire.
A cet égard, le salarié avait saisi les prud'hommes et revendiquait :
- la qualité de journaliste professionnel (et le bénéfice de la Convention collective des journalistes) versus la fonction d'opérateur prise de vue, intermittent du spectacle, pour laquelle il était déclaré, avec application de la convention collective de la Production audiovisuelle ;
- la requalification des CDDU à temps partiel en CDI à temps plein ;
- un licenciement abusif ; et enfin
- la violation du repos hebdomadaire.
Le Conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt (Jugement du 8 décembre 2011, section encadrement, RG 10/02127) a suivi le raisonnement du salarié.
Le salarié était employé, sous contrat à durée déterminée d'usage successifs, en qualité de Chef Opérateur Prise de vue, depuis 13 ans, par Phaestos Presse.
Phaestos Presse est le bureau de correspondance de TF1 en Languedoc Roussillon.
TF1 soustraite la majorité de ses reportages en région à PHAETOS PRESSE pour la Région Languedoc Roussillon.
Le salarié plaidait qu'il exerçait effectivement des fonctions de Journaliste Reporter d'Images (JRI) et non d'opérateur prise de vue.
Il travaillait environ 165 jours par an en binôme avec une salariée, qui était employée en qualité de journaliste et sous CDI.
La relation de travail a pris fin le 27 septembre 2010 ; à cet égard, le salarié ne sera jamais rappelé par la société, malgré la poursuite de la fabrication des reportages pour TF1.
Le salarié a saisi les prud'hommes des demandes suivantes :
- La reconnaissance de la qualité de Journaliste et donc le bénéfice des dispositions de la Convention collective des Journalistes (13ème mois, prime d'ancienneté des journalistes, indemnité conventionnelle de licenciement des journalistes) ;
- La requalification de ses CDD à temps partiel en CDI à temps plein ;
- La requalification de la rupture en licenciement abusif ;
- Le non-respect des dispositions sur le repos hebdomadaire.
Il obtient 84.591 euros au titre de la requalification de ses CDD à temps partiel en CDI à temps plein, 42.467 au titre des indemnités conventionnelle de rupture, 35.888 euros au titre de dommages intérêts pour licenciement abusif et 5.000 euros pour violation du repos hebdomadaire.
1) Le salarié est journaliste et non opérateur prise de vue, intermittent du spectacle
Le salarié était déclaré par son employeur en qualité d'Opérateur Prise de vue, intermittent du spectacle.
Il plaidait qu'il était en réalité journaliste.
En effet, il travaillait en binôme environ 165 jours avec une salariée, employée en qualité de journaliste et sous CDI ; il effectuait le même travail qu'elle : lui était déclaré Opérateur prise de vue, et elle était déclarée journaliste.
Le Conseil de prud'hommes relève que "le statut de journaliste ne s'applique pas aux seuls rédacteur mais peut également concerner des fonctions techniques dès l'intant où elles s'inscrivent dans le cadre de réalisation de reportages et que la polyvalence du salarié lui permettait de passer d'un binome à l'autre en fonction des besoins et donc de suppléer le cas échéant, une autre salariée elle même journaliste".
Le Conseil de prud'hommes adopte le raisonnement du salarié et lui accorde la qualité de journaliste avec bénéfice de la convention collective des journalistes.
Celle-ci est très favorable : minima conventionnels applicables, 13ème mois, prime d'ancienneté, etc. ; le salarié obtient notamment 8.969 euros à titre de rappel de prime d'ancienneté de 14.205 euros au titre de rappel de 13ème mois.
2) Les CDD à temps partiel du Journaliste sont requalifiés en CDI à temps plein
A cet égard, il faut rappeler qu'aux termes de l'article L. 3123-14 du Code du travail :
- Si le cadre hebdomadaire est retenu, le contrat à temps partiel doit comporter la mention du temps de travail hebdomadaire et de la répartition des heures de travail entre les jours de la semaine ;
- Si le cadre mensuel est retenu, le contrat à temps partiel doit comporter la mention du temps de travail mensuel et de la répartition des heures de travail entre les semaines.
Ceci a pour objet de permettre notamment, en pratique, au salarié d'occuper un autre emploi.
Rien de tout cela dans les contrats conclus par le demandeur puisque la mention de CDD à temps partiel ne figurait jamais ; pas plus que la répartition des heures de travail.
Le Conseil de prud'hommes relève que "les autres salariés constituant des binomes de la société bénéficiaient de CDI sans que la société ne justifie cette différence de traitement à l'égard du salarié. Concernant sa complète disponibilité pour les missions qui lui ont été confiées par la société, cette dernière ne fait pas état d'un seul refus pour cause d'indisponibilité que lui aurait opposé le salarié au cours de ses 12 années de collaboration".
L'employeur ne pouvait renverser la présomption de contrat de travail à temps plein qu'en faisant la preuve de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue et en établissant que le salarié pouvait prévoir son rythme de travail et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition.
Le salarié plaidait qu'il avait toujours été affecté à des tâches permanentes au sein de PHAESTOS PRESSE, et qu'il devait toujours se tenir à la disposition de l'employeur, sa durée du travail variant d'un mois sur l'autre.
Le Conseil de prud'hommes l'a suivi et a requalifié les CDD à temps partiel en CDI à temps plein ; le salarié obtient 81.599 euros à titre de rappel de salaire du fait de la requalification de ses CDD à temps partiel en CDI à temps plein.
Ce jugement du 8 décembre 2011 du Conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt se situe notamment dans la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris du 18 novembre 2010 (09/01652, M. X c/ France Télévisions).
3) La rupture du contrat de travail du journaliste est requalifiée en licenciement abusif
En outre, les CDD à temps partiel étant requalifiés en CDI à temps plein et aucune procédure de licenciement n'ayant été respectée, la rupture a été requalifiée en licenciement abusif.
Le salarié obtient 35.888 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement abusif (soit 1 an de salaire).
4) Le non-respect des dispositions sur le repos hebdomadaire
Les articles L. 3132-1 à L. 3132-3 du Code du travail prévoient « qu'il est interdit de faire travailler un même salarié plus de 6 jours par semaine ».
Le Conseil de prud'hommes relève que "la société reconnait que son salarié a été parfois amené à travailler plus de 6 journées consécutives, sans pouvoir prendre son repos hebdomadaire".
En l'occurrence, le repos hebdomadaire n'avait pas été respecté 38 fois.
Le conseil de prud'hommes condamne PHAESTOS PRESSE à payer au salarié la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts.
En conclusion, le journaliste n'est pas un intermittent du spectacle et vice versa.
Par ailleurs, le non-respect des règles sur les CDD d'usage et sur les CDD à temps partiel peut couter très cher à l'entreprise ; c'est le prix à payer de l'ultra précarisation du travail.
Frédéric CHHUM
Avocat à la Cour
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