Durant cette période d'élection présidentielle, les instituts de sondage, ont une activité florissante. A cet égard, il faut rappeler qu'il y a eu 30% de sondage de plus pour l'élection présidentielle 2012 qu'en 2007.
Ce secteur d'activité aurait généré 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2010.
En outre, sur 20.000 salariés travaillant dans ce secteur, environ la moitié (10.000) est employée sous CDDU.
Les Instituts de Sondage continuent de recourir au CDD d'usage mais les juges veillent au grain et sanctionnent les abus, notamment en cas de licenciement abusif.
A) Le recours aux CDDU par les instituts de sondage est autorisé par la Convention SYNTEC
La convention collective des Bureaux d'Etudes techniques, cabinets d'ingénieurs conseils, sociétés de conseil (SYNTEC) autorise les Instituts de sondage à recourir aux CDDU.
A cet égard, la Convention SYNTEC précise dans son préambule relatif aux personnels enquêteurs, la particularité de l'activité des instituts de sondages, qui est soumise à des impératifs de souplesse et de rapidité qui « ne permettent pas à ces sociétés d'assurer à l'ensemble de leurs enquêteurs une charge de travail régulière et constante au cours de l'année, eu égard de plus au fait qu'il est impératif d'obtenir pour des nécessités statistiques, des échantillons dispersés ».
Compte tenu de ces particularités, elle prévoit 3 statuts différents :
- Le chargé d'enquête, titulaire d'un contrat à durée indéterminée qui sont salariés à temps plein ;
- Le chargé d'enquête à garantie annuelle qui concerne les salariés engagés en vue d'une activité discontinue et qui ne s'engagent pas de manière exclusive à l'égard d'un employeur, qui peuvent exercer d'autres activités, ou la même, au profit d' un autre organisme de sondage (dans ce deuxième statut les contrats de travail sont soit à durée indéterminée soit à durée déterminée) ; et enfin
- L'enquêteur vacataire » qui est un collaborateur occasionnel qui a la possibilité de refuser les enquêtes qui lui sont proposées.
B) Les spécificités et conditions de recours au CDD d'usage
Le CDD d'usage présente trois particularités :
- Il n'est soumis à aucune durée maximale ;
- Il n'y a aucun délai de carence à respecter entre deux CDD d'usage. Il est donc tout à fait possible de conclure plusieurs CDD d'usage successifs ;
- Aucune indemnité de fin de contrat n'est due au terme du CDD d'usage.
Ce contrat de travail à durée déterminée doit être écrit. A défaut, il sera présumé conclu pour une durée indéterminée (article L.1242-12 alinéa 1er du Code du Travail).
L'article L.1242-12 du Code du Code du Travail énumère un certain nombre de mentions obligatoires (nom et la qualification professionnelle; date du terme et, le cas échéant, une clause de renouvellement lorsqu'il comporte un terme précis, désignation du poste de travail, convention
collective applicable, nom et l'adresse de la caisse de retraite complémentaire ainsi que, le cas échéant, ceux de l'organisme de prévoyance.
1) Principe
Conformément à l'article L.1242-2 3° du Code du travail, un contrat à durée déterminée peut être conclu pour des emplois pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou
par convention ou accord collectif étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée.
En outre, l'article D.1242-1 du Code du travail énumère les 20 secteurs d'activité dans lesquels le recours aux CDD d'usage est autorisé (audiovisuel, spectacles, enseignement, sport professionnel,
etc).
Toutefois, le seul fait que le secteur d'activité soit mentionné sur la liste ne donne pas le droit de recourir à un CDD pour tous les emplois de ce secteur.
En effet, la conclusion de CDD d'usage par un employeur est subordonnée à certaines conditions « il doit être d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en
raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois » (Article L.1242-2 3° du code du travail).
Une série d'arrêts rendus le 26 novembre 2003 était venue fixer le régime juridique applicable aux CDD d'usage. En l'occurrence, le juge saisi d'une demande de requalification d'un CDD d'usage
en CDI devait simplement rechercher si pour l'emploi concerné, il était effectivement d'usage constant de ne pas recourir à un tel contrat.
Ainsi, la qualification de CDD d'usage échappait facilement au risque de requalification. Le CDD d'usage avait connu un franc succès. La place du CDI avait été réduite.
Cependant, la Cour de cassation est venue quelques années plus tard ralentir la fulgurante ascension des CDD d'usage.
2) Limitation par la Jurisprudence
Dans deux arrêts rendus le 23 janvier 2008 (n°06-43.040 et n°06-44.197), la Cour de cassation, inspirée par le droit communautaire, précise que des contrats successifs peuvent être conclus avec le
même salarié à condition que ce soit justifié par des raisons objectives, qui s'entendent d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi concerné.
En résumé, par ces décisions du 23 janvier 2008, il apparaît que la Cour de cassation se veuille plus protectrice des salariés en limitant le recours aux CDD d'usage. Il s'agit, en outre, pour elle, de veiller à protéger les salariés contre la précarité et ainsi renforcer la stabilité de l'emploi.
Ainsi, le contrôle du recours aux CDD d'usage est devenu plus exigeant. Les juges doivent vérifier les 3 conditions suivantes :
-si l'entreprise appartient aux secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu dans lesquels le recours à ce type de CDD est possible ;
-s'il est d'usage constant pour l'emploi en question de ne pas recourir à un CDI
-et surtout, en cas de recours à des contrats successifs, si cette succession de contrats est justifiée par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.
3) Les sanctions prévues en cas de recours abusif aux CDD d'usage
Les employeurs doivent faire l'objet d'une extrême vigilance lorsqu'ils recourent aux CDD d'usage puisque seuls les emplois pour lesquels ils peuvent justifier du « caractère par nature temporaire de l'emploi » pourront être éligibles au CDD d'usage.
A défaut, le risque pour l'employeur est de le voir requalifier en CDI et d'encourir une sanction pénale pour recours abusif aux CDD d'usage.
En vertu de l'Article L.1248-1 du Code du travail, le recours abusif au CDD d'usage est pénalement sanctionné d'une amende de 3.750 euros et d'une amende de 7.500 euros et de 6 mois d'emprisonnement en cas de récidive.
Enfin, en cas de requalification du CDD d'usage en CDI (l'article L. 1245-1 du Code du travail), le salarié peut prétendre :
- à une indemnité de requalification qui ne peut être inférieure à un mois de salaire ;
- aux indemnités de rupture (préavis,congés payés, indemnité de licenciement) ;
- à un éventuel rappel de salaire si la requalification entraîne un nouveau calcul de l'ancienneté ;
- à des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Ces dommages-intérêts sont déterminés en fonction du préjudice subi si l'intéressé possède moins de 2 ans d'ancienneté dans l'entreprise ou appartient à une entreprise occupant moins de 11 salariés
(article L.1235-5 du Code du travail).
Toutefois, si le salarié possède plus de 2 ans d'ancienneté et appartient à une entreprise d'au moins 11 salariés, l'intéressé peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure aux
salaires des 6 derniers mois (article L.1235-3 du Code du travail).
C) La Cour d'appel de Versailles sanctionne BVA pour recours abusif au CDDU (CA Versailles 22 févr.2012)
Dans un arrêt récent du 22 février 2012, la Cour d'appel de Versailles a requalifié la relation de travail d'un salarié en CDDU, en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.
En l'occurrence, il s'agissait d'un vacataire employé depuis plusieurs années pour réaliser des études de marchés, sondage d'opinion pour des durées variables. La société ne lui a plus fourni de
travail sans aucune raison.
La Cour d'Appel rappelle que les juges ont l'obligation de vérifier que « l'utilisation (par la société) de
contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi d'enquêteur;
que si la forte variabilité dans le temps de l'activité des instituts de sondage et leur caractère aléatoire invoqués par l'intimée apparaissent établis, il n'en demeure pas moins que M. B. a travaillé pour la société BVA entre le 10 février 2004 et le 31 décembre 2009, soit pendant près de six ans;
qu'il apparaît ainsi qu'il a participé à l'exécution d'une activité permanente de l'entreprise;
qu'en se bornant à faire état de la variabilité et du caractère aléatoire des activités de sondage, l'intimée à qui la charge de la preuve incombe à cet égard, ne justifie pas de l'existence de raisons objectives s'entendant de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi occupé par le salarié ».
Ainsi, depuis 6 ans, l'emploi du salarié, loin d'être temporaire, était un emploi permanent et du jour au lendemain, la société ne lui avait plus fourni de travail.
Dès lors, la Cour d'appel de Versailles en a légitimement déduit que l'Institut de Sondage a eu recours aux contrats à durée déterminée d'usage, de façon abusive.
Elle a requalifié la relation contractuelle en CDI à temps plein (le salarié obtient un rappel de salaire
substantiel) et la rupture en licenciement abusif (il obtient les indemnités conventionnelles de rupture ainsi que des dommages intérêts pour licenciement abusif).
Frédéric CHHUM
Avocat à la Cour
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