En 2010, sur les 21.714 avocats inscrits au Barreau de Paris, 9.086 étaient avocats collaborateurs.
Il y a quelques mois, les juges ont torpillé les contrats de téléréalité des sociétés de production ; vont-ils aujourd’hui saborder la collaboration libérale des avocats collaborateurs, pilier d’exercice de la profession ?
Cette question a connu un regain d’actualité dans une affaire récente où une avocate demandait la requalification de son contrat de collaboration en contrat de travail.
En face, le cabinet Herbert Smith, l’un des membres du « Magic Circle », qui est le cercle des cabinets d’avocats stars londoniens.
L’originalité de cette affaire est que plutôt que de se saisir le juge civil (conseil de prud’hommes) ; elle a préféré passer par la voie pénale en demandant la condamnation de son « patron » pour travail dissimulé. Elle a été déboutée.
1) Une avocate collaboratrice demande la requalification de son contrat de collaboration (prestation de services) en contrat de travail
Plus précisément, elle reprochait à Herbert Smith de ne pas l’avoir employé sous contrat de travail et considérait que le cabinet était coupable de dissimulation d’emploi salarié.
Elle a assigné son employeur par voie de citation directe devant le Tribunal correctionnel de Paris.
Le 15 décembre 2010, la 31ème chambre correctionnelle du Tribunal correctionnel de Paris a relaxé le cabinet d’avocats Herbert Smith du délit de travail dissimulé (LJA 22/11/2010).
La demanderesse souhaitait faire requalifier son statut de collaboratrice libérale en celui de salariée, aux motifs notamment qu’au vu du nombre de dossiers à traiter et de l’organisation du travail au sein du cabinet, elle était dans l’impossibilité de développer une clientèle personnelle. Le SAF s’est par ailleurs constitué partie civile.
Pour la 31e chambre correctionnelle, « l'élément matériel du délit de travail dissimulé n'est pas constitué, dès lors que la relation unissant la collaboratrice au cabinet n'est pas un contrat de travail, mais un contrat de collaboration libérale qui lui permettait de développer sa clientèle propre » (Actuel Avocat 16/12/2010).
Ce jugement est surprenant lorsque l’on connaît le rythme de travail des avocats en général (et du Magic Circle en particulier) comparé à celui des participants aux émissions de téléréalité.
L’intéressée plaidait qu’elle facturait plus de 10 heures par jour en moyenne, ce qui signifie, en pratique, au minimum 12 heures de travail effectif.
Dans ce type de structure internationale, l’avocat doit « biller » au moins 1.500 heures par an, voir parfois 2.000 à 2.500 heures.
Il faut noter que les structures anglo-saxonnes offrent des conditions de rémunération et de travail bien plus confortables à celles des structures françaises.
L’avocate a fait appel et l’affaire va être rejugée par la Cour d’appel de Paris.
2) Deux poids, deux mesures ? L’avocat moins bien traité que le participant à un jeu de téléréalité ? Come on !
Alors, y aurait-il deux poids, deux mesures ? Les avocats seraient-ils moins bien traités que les participants aux émissions de téléréalité ?
2.1) La jurisprudence de l’Ile de la tentation (Cass. soc. 3 juin 2009)
La chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la nature du contrat liant les participants d’une émission télévisée de type « téléréalité » et le producteur de l’émission (Cass. soc. 3 juin 2009, n°08-40981).
La Cour de cassation a rappelé dans une formule lapidaire, devenue un standard de jurisprudence, que « l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs ».
Se fondant sur les conditions du tournage, la Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond qui avaient requalifié le « règlement participants » de l’émission « L’Ile de la tentation » en contrat de travail à durée indéterminée, et avaient condamné la société de production à verser des indemnités aux participants. En revanche, la Cour a annulé la condamnation de la société de production pour « travail dissimulé », estimant que la société n'avait pas délibérément contourné la loi.
Pour justifier la requalification d’un tel règlement en contrats de travail, la Cour a relevé que les participants avaient l’obligation de prendre part aux différentes activités et réunions, qu’ils devaient suivre les règles du programme définies unilatéralement par le producteur, qu’ils étaient orientés dans l’analyse de leur conduite, que certaines scènes étaient répétées pour valoriser des moments essentiels, que les heures de réveil et de sommeil étaient fixées par la production, que le règlement leur imposait une disponibilité permanente avec interdiction de sortir du site et de communiquer avec l’extérieur, et stipulait que toute infraction aux obligations contractuelles pourrait être sanctionnée par le renvoi.
Elle en déduit l’existence d’un lien de subordination, caractérisé par le pouvoir de l’employeur « de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquement du subordonné ».
2.2) Requalification du contrat de collaboration d’avocat en contrat de travail à certaines conditions (Cass. civ. 1ère 14 mai 2009)
Suite à la rupture de son contrat de collaboration, une avocate avait demandé que celui-ci soit requalifié en contrat de travail.
Le 21 janvier 2008, la Cour d'Appel de Lyon, infirmant la sentence arbitrale qui avait été rendue, accueille la demande de la requérante et affirme que la rupture du contrat de travail s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dans un arrêt du 14 mai 2009, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a considéré que le traitement d'un nombre dérisoire de dossiers propres à l'avocat lié à un cabinet par un contrat de collaboration libérale ne fait pas - même si la clientèle personnelle est exclusive de l'avocature salariée - obstacle à la qualification de ce contrat en contrat de travail lorsqu'il est établi que cette situation n'est pas de son fait mais relève des conditions d'exercice de son activité.
La Cour de Cassation a insisté sur les conditions réelles d'exercice de l'activité de l’avocate collaboratrice. En l'espèce, l’intéressée, qui avait conclu un contrat de collaboration libérale, n'avait pu traiter que 5 dossiers personnels en 5 ans d'exercice chez son patron.
La Cour de cassation a alors estimé que le nombre dérisoire de dossiers propres à l'avocat ainsi que les conditions, notamment logistiques, d'exercice de ses fonctions telles que le partage d'un bureau avec un autre collaborateur mais également le partage des outils informatiques et téléphoniques, étaient de nature à entraver l'indépendance technique qui caractérise et différencie le collaborateur libéral de l'avocat salarié.
Les conséquences de cette décision sont importantes. La protection sociale de l'avocat salarié n'est pas la même que pour un collaborateur libéral : les obligations de paiement de diverses cotisations sociales et indemnités dues aux salariés, l'application directe des règles protectrices du droit du travail, etc., pourraient, selon de nombreux auteurs de doctrine, entraîner un accroissement du nombre d'avocats salariés dans les prochaines années à venir et faire ainsi perdre à la profession le caractère libéral qui l'a, jusqu'à présent, toujours définie...
3) Et après : la fin programmée de la collaboration libérale ?
3.1) Les candidats au Bâtonnat en 2010 se sont saisis du dossier
D’ailleurs, les candidats au Bâtonnat, à l’automne 2010, se sont saisis de ce problème, puisque certains candidats proposaient que les avocats de Paris puissent souscrire à une assurance en cas de rupture du contrat de collaboration.
Ainsi, Pierre-Olivier SUR proposait un « contrat d’assurance collective perte de collaboration ».
Quant à Christiane FERAL SCHUHL, elle suggérait de « négocier des accords-cadres pour permettre au collaborateur ou au cabinet de souscrire une assurance facultative Perte de collaboration libérale, garantissant 60 à 70 % de la rétrocession de base sur 1 à 2 ans » ; elle a, d’ailleurs, été élue en décembre dernier et est Dauphin de l’ordre.
Les deux candidats au Bâtonnat voulaient-ils ainsi anticiper l’irrémédiable requalification de la collaboration libérale en contrat de travail par les juges ? D’ailleurs, aucun candidat au Bâtonnat ne s‘était soucié, jusqu’alors, du statut social des collaborateurs.
3.2) Les juges vont-ils résister à la « tentation » de saborder la collaboration libérale ?
La Cour d’appel va-t-elle infirmer le Tribunal correctionnel parisien ?
La collaboratrice a fait le choix de saisir le juge pénal en l’occurrence ; paradoxalement, si elle avait saisi le juge civil (prud’homal), peut-être aurait-elle eu gain de cause.
Les juges vont-ils, au final, mettre tout le monde d’accord et appliquer la jurisprudence « Ile de la tentation » aux avocats ?
D’ailleurs, dans les arrêts « Ile de la tentation », si les juges ont reconnu l’existence d’un contrat de travail ; ils ont, en revanche, débouté les intéressés de leur demande concernant le travail dissimulé.
Si cela était le cas, cela signerait la fin de la collaboration libérale à temps plein pour les avocats.
Dès lors, il y aurait une alternative : les avocats seraient soit salariés (sans possibilité de clientèle personnelle), soit en collaboration libérale (ils pourront développer leur clientèle personnelle, et, dès lors, ne plus travailler à temps plein pour leur « patron »).
Ce serait une révolution.
Les juges vont-ils résister à la « tentation » de saborder la collaboration libérale ? A suivre.
Frédéric CHHUM
Avocat à la Cour
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